D'après le roman de Philip K. Dick et 35 ans après l'adaptation de Ridley Scott, voici celle de Denis Villeneuve. Qu'en ont pensé les critiques du Masque et la Plume ?

Ryan Gosling dans "Blade Runner 2049" de Denis Villeneuve

Trente-cinq ans après le film de Ridley Scott, cette semaine sort Blade Runner 2049 signé cette fois Denis Villeneuve (le cinéaste de Premier contact et Sicario). C'est toujours avec Harrison Ford, un survivant dans tous les sens du terme, mais aussi Ryan Gosling en agent K, chasseur de répliquants dans un monde post-apocalyptique, sans mémoire, déglingué.

Deux heures quarante de cauchemar métaphysique - pour ne pas dire méditatif.

Sophie Avon : "tout ça est un peu décevant"

Denis Villeneuve c'est un très grand cinéaste. J'ai beaucoup aimé Incendies ; Premier contact était un film de science-fiction qui me paraissait subjuguant, qui était d'une poésie incroyable… Je m'attendais donc à quelque chose de fort. J'ai du coup été déçue.

J'ai l'impression qu'il avance tellement prudemment , comme s'il avait peur de son ombre - et son ombre, c'est Ridley Scott. C'est vrai que ce n'est pas commode, ce qu'il a à faire. Il a à la fois à être dans les pas de Ridley Scott et en même temps à inventer, imposer sa propre histoire.

L'histoire ne vaut pas grand-chose et elle est assez prévisible mais surtout il met une lenteur à tout - dieu sait que j'aime la mélancolie mais alors là il met une espèce d'élégie, de tristesse… Au bout d'un moment on a envie de dire : arrête de nous montrer des plans où tu nous demandes à chaque fois de trouver que c'est beau.

J'ai trouvé que c'était un film très cérébral, et ça m'a dérangé. Il y a une venue au monde à un moment chez Wallace qui est ridicule, qui ne marche pas du tout ! Dans Ghost in the Shell, il y avait une naissance de cet ordre qui était magnifique donc, c'est un peu décevant ; tout cela est un peu décevant.

Xavier Leherpeur : "Ça ne raconte rien, ça ne prend aucun risque ! Ça a la saveur d'un plat surgelé qu'on a oublié de passer au micro-ondes"

Je me demandais pourquoi ça s'appelait Blade Runner 2049… Je crois que 2049 c’est la durée du film : 2h45 pour achever 8 pages de dialogue grand maximum, c'est interminable !

C'est quand même un cinéaste d'une prétention absolue. Effectivement, il a couronné pour cette histoire de cailloux suspendu dans l'air, là (Premier contact) C'était consternant et toutes les meilleurs scènes étaient pompées sur une série anglaise mais comme personne ne l'avait vue personne ne l'a citée.

Mais bon, parlons de Blade Runner : je pense qu'il est tellement content de ces décors magnifiques, ces escaliers interminables, avec des effets de lumière qu'il a dit aux comédiens : "Attendez, ça nous a coûté une blinde, c'est super beau, donc vous avancez très, très, très lentement pour qu'on est bien le temps de voir comme c'est beau, travaillé, fin. Et les dialogues, on en a pas beaucoup : détachez-les, ça vous donnera de l'intériorité ; la critique française pensera que c'est absolument minéral. À la fin il y a décor avec des personnages qui sont figés : je pense que ce n'est pas un décor, c'est des figurants qui sont arrivés le premier jour, il se sont tellement ennuyés ils ont terminé en statue de sel !

Ça a la saveur d'un plat surgelé qu'on a oublié de passer au micro-ondes...

Image extraite de "Blade Runner 2049"

Nicolas Schaller : "c'est un film sur un personnage qui se découvre des émotions dans un film qui n'en a presqu'aucune."

J'avais été très enthousiasmé par la première heure, ça pose plein de pistes et après… C'est un peu le symptôme que je ressens beaucoup aujourd'hui dans les blockbusters américains : on est partagé entre les managers de fast-food qui nous revendent le même plat en nous faisant croire que c'est le plat du jour et puis à côté des espèces de types qui ont du talent, comme Villeneuve ou Christopher Nolan, mais on a l'impression que c'est des architectes d'intérieur qui viennent nous donner des leçons de philo et qui oublient de faire un film.

Il y a plein de pistes passionnantes et au bout d'un moment, il se complaît dans cette espèce d'univers qu'il nous montre interminablement (soit dit en passant c'est un champ de ruine où il y a pas un gramme de poussière...)

"Blade Runner 2049"

Pierre Murat : "un film absolument admirable"

C'est un film magnifique, absolument splendide. Je ne vous comprends pas du tout, vous en parlez comme d'un blockbuster lent qui vous aurait déçu. Vous faites semblant de croire que c'est un film à l'américaine, à la Ridley Scott , alors que c'est un film absolument "tarkovskien".

Il y a une enquête policière et une enquête métaphysique avec toute la mélancolie qui vient du passé de ces femmes aimées comme un peu chez Wong Kar-wai et ça devient palpitant ,

Une sorte de quête métaphysique et pour une fois que le cinéma américain a un tout petit peu de spiritualité qui soit pas totalement conne, je trouve que c'est un film absolument admirable. Je suis sans voix devant un film comme ça.