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7 novembre 2013

Love song / Djian

Love Song

Mon avis:

Un bon livre de Djian qui se lit d'une traite. Une histoire de chanteur qui lui a certainement été inspiré par sa relation avec Stéphane Eicher pour qui il vient d'écrire quelques textes. Comme toujours chez Djian une relation amoureuse très complexe qui nourrit ce roman d'un bout à l'autre. Toujours cette fzaçon d'écrire avec ce rythme particulier qui nous tient en haleine jusqu'à la fin. Très bon livre.

La critique du Monde:

"Mais comment oses-tu..." C'est le titre d'une chanson, celle sur laquelle s'ouvre Love Song ; la dernière création du narrateur, Daniel, star quinquagénaire du rock, équivalent européen de Leonard Cohen, auquel sa maison de disques réclame des titres plus commerciaux. Avec ces paroles, on jurerait que Philippe Djian devance, bravache, la question que le lecteur pourrait avoir envie de lui poser, parfois stupéfait par les chemins qu'emprunte son roman. Elle est formulée sans point d'interrogation, à l'image de tout le livre - également dépourvu de signes exclamatifs.

CHARGER LA BARQUE

Ce choix de ponctuation donne à la voix de Daniel sa tonalité tout à la fois circonspecte et résignée : le héros oscille entre ces deux attitudes face aux événements, y compris les plus incroyables. Car, pour "oser", Philippe Djian ose, dans le premier de ses romans où l'écrivain éternellement estampillé "rock", bien malgré lui, parolier pour son ami Stephan Eicher, évoque le milieu de la musique.

Depuis la série Doggy Bag (Julliard, 2005-2008) - tentative romanesque, en six saisons, de damer le pion aux séries télévisées, où disparitions, réapparitions brutales et phénomènes paranormaux constituaient le tout-venant des intrigues -, il s'en donne à coeur joie dans chaque livre, multipliant les rebondissements et les invraisemblances. Puisque, selon lui, c'est ainsi, en chargeant lourdement la barque de ses personnages, que l'on peut vraiment faire entendre leur voix. Et que cela seul intéresse l'auteur de Bleu comme l'enfer (Julliard, 1982).

 "Mais comment oses-tu...", la chanson est inspirée à Daniel par Rachel. Huit mois plus tôt, elle l'a quitté pour l'un de ses musiciens. Et la voici, de retour au bercail, sans un mot ou une excuse. Enceinte, apprendra-t-il bientôt, alors que leur difficulté à concevoir un enfant est l'une des raisons du dérèglement de leur couple. Fou d'elle, Daniel finira par accepter la mère et l'enfant à venir, sans plus poser de questions. Pas plus qu'il n'en soulèvera à propos de certaines morts bizarres, ni des résurrections littérales ou métaphoriques auxquelles il va assister ou participer.

ATMOSPHÈRE D'ÉTRANGETÉ

La force de Philippe Djian est de réussirà placer le lecteur dans le même état d'acceptation que son narrateur et rock star. Si l'on peut soulever un sourcil devant les premières incohérences et impossibilités logiques, ou devant le caméo de Brad Pitt, avec lequel Daniel a une brève discussion, très vite, on se laisse emporter, et l'on admet l'atmosphère d'étrangeté qui nimbe le roman.

Sa temporalité audacieuse, tout en ralentis puis en accélérations, ses passages du passé au présent, ses ellipses, ses explications à certaines données toujours repoussées (quel est cet accident dans lequel Rachel a gagné les cicatrices qui constellent ses jambes ? Pourquoi elle et son frère, Walter, l'agent de Daniel, sont-ils à couteaux tirés ?), jusqu'à ce qu'elles soient délivrées comme en passant...

Tout en démontrant paradoxalement, à force de coups de théâtre, à quel point l'intrigue, finalement, importe peu, et que seul vaut le travail de la langue, Philippe Djian met au jour la masse d'irrationalité engagée dans les rapports familiaux, amoureux, professionnels ou sociaux. L'écrivain de 64 ans montre, surtout, à quel point, en musique comme en littérature, c'est en "osant" que l'on construit une oeuvre.

La critique de Télérama:

Prenez un personnage, plongez-le en pleine bourrasque, ne lésinez pas, organisez autour de lui un dérèglement général – crise personnelle, amoureuse, familiale, mais aussi collective, morale, civilisationnelle –, n'hésitez pas devant l'extravagance ou l'invraisemblance des situations, et observez ce qui se passe. Voilà, à peu près résumé, le dispositif originel d'un roman de Philippe Djian. Appelons cela la ­méthode Djian. Laquelle, évidemment, n'est pas une recette, une ligne de conduite dont tout romancier pourrait s'emparer : elle ne vaut que pour lui, et lui seul. Car la mécanique, au fil des livres, tournerait à vide, lasserait, s'épuiserait d'elle-même, si Djian n'y mêlait son style parfaitement inimitable – l'ingrédient primordial, insaisissable et terriblement efficace qu'est sa voix, sa respiration tour à tour tendue ou mélancolique, son sens de l'ellipse faussement désinvolte qui dope le récit, son lexique tout ensemble sophistiqué et trivial.

Au centre de Love Song, il y a donc Daniel, 60 ans et des poussières, chanteur de renommée internationale – « en dehors de Leonard Cohen, je ne vois pas qui peut te faire de l'ombre », lui susurre son producteur. Daniel, donc, un beau jour confronté au retour de Rachel, la femme qu'il aime et qui l'avait quitté huit mois plus tôt, de ­retour au domicile conjugal alors qu'elle est enceinte d'un enfant dont Daniel n'est pas le père. Rachel, c'est le plus gros des nuages qui encombrent le ciel de Daniel, mais ce n'est pas le seul. Il y a aussi Georges, son producteur, qui ne le cajole de temps à autre que pour mieux lui reprocher le caractère bien trop lugubre de ses chansons. Il y a encore Amanda, sa maîtresse, une sexagénaire hautement toxicomane, Walter, son meilleur ami et frère de Rachel, une chienne fugueuse baptisée Georgia, et bientôt Dona, l'enfant de Rachel...

On s'épuiserait à tenter de dérouler plus précisément, et surtout de façon cohérente, le fil de cette histoire, dont les virages abrupts et les rebondissements ne masquent jamais les accents profondément mélancoliques. Car c'est sur le temps, le délitement cruel qu'il impose aux aspirations les plus pures – celles qui animent les individus, mais aussi les générations – que médite Love Song. A la façon Djian : inflammable, très noire, secrètement déchirante.

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